Une lecture passionnante : les notices communales de 1914
En 1914, le ministre de l’Instruction publique, Albert Sarraut, recommande aux instituteurs de consigner le plus grand nombre possible de faits d’histoire locale afin de les fixer dans la mémoire collective et de les préserver de l’oubli.
Au sujet d'Annoville et de Lingreville, Auguste Esnol et Eugène Pasquet, également secrétaires de mairie, ont chacun réalisé une notice communale de leurs communes respectives. Elles enregistrent le plus grand nombre possible de faits d’histoire locale afin de les fixer dans la mémoire collective et de les préserver de l’oubli. Elles sont aujourd’hui en ligne sur le site des Archives départementales de la Manche.
Elles donnent une vision précise de l’histoire, de la géographie et du monde social et économique juste avant le Première guerre mondiale. Celle de Lingreville est, de plus, agrémentée de photos.
Allez les découvrir en cliquant sur les liens suivants !
"Etude sur l'histoire et la géographie de la commune de LIngreville", Eugène Pasquet, 1914. Découvrir l'histoire de Lingreville ici.
"Annoville - Tourneville. Monographie historique et économique suivie de différentes annexes", Auguste Esnol, 1914. Découvrir l'histoire d'Annoville ici.
L'histoire d'Annoville
Unnovilla
Annoville signifierait « le domaine de Wulnod » ou « de Wulfnon », du latin « villa », domaine rural précédé du nom de personne anglo-saxon. Le nom de la commune est attesté sous la forme « Unnovilla » en 1172 sur un cartulaire du Mont-Saint-Michel.
Au XIIe siècle, la seigneurie d’Annoville est confiée par le baron de Saint-Pair, abbé du Mont-Saint-Michel, aux Paynel, seigneurs de Hambye, à condition qu’ils fassent au roi le service d’un chevalier au nom des moines.
Par la fusion des deux cures d’Annoville et de Tourneville, les deux paroisses sont associées, dès le XIIIe siècle, sous le vocable Annoville-Tourneville.
Pendant la guerre de Cent ans, les Clinchamps sont les seigneurs d’Annoville.
Au XVIIe siècle, Antoine de la Luzerne vend la terre d’Annoville à Jacques Michel, descendant d’une vieille famille dont la première mention est faite à la bataille d’Azincourt (1415). La seigneurie consiste alors en un domaine non fieffé (c’est-à-dire dont l’exploitation de la terre n’est pas confiée à une famille de la seigneurie), gravage (le droit de récupérer ce que la mer rejette sur la côte), marais, mielles, mares et pâturages.
Annoville-Tourneville
La Révolution entérine la fusion des deux paroisses en créant l’unique commune d’Annoville.
L'histoire de Lingreville
La commune actuelle de Lingreville a été modelée depuis des millénaires par des milliers de femmes et d’hommes qui ont tracé les chemins, défriché les champs, dressé des fossés, planté des arbres, curé les ruisseaux et asséché les mares, enfin donné à chaque endroit un nom qui renfermait toute une tranche de vie, toute une histoire. (Marcel Mahé)
Au paléolithique
Le territoire du futur Lingreville était vraisemblablement habité. Il a été retrouvé dans un champ de La Hoguette* une hache préhistorique.
Au néolithique
Le squelette de la partie frontale et les cornes d’un "petit bœuf des tourbières", animal répandu aux temps néolithiques et postérieurs ont été mises à jour à Lingreville vers 1932.
A l’âge de bronze
Des céramiques datant de 1200 et 1700 avant JC ont été retrouvées en bordure du Havre de la Vanlée.
A l’époque gauloise
D’après les commentaires de l’empereur César, le territoire actuel de la Manche était habité par un peuple réputé : Les Unelles dont le chef était Viridovix. Il fut battu par les légions romaines en 56 avant JC. Le nom Mudrac (ou Meurdrac) que l’on retrouve dans l’histoire de Lingreville est d’origine celtique.
A l’époque gallo romaine
Il est attesté qu’il y a eu un village gallo-romain près de l’embouchure de la Vanlée. Un dépôt de débris de poteries et de tuiles datant du début de notre ère, a été découvert vers 1960 près du chemin de la Samaritaine*. Des médailles romaines ont aussi été trouvées près de l’ancien château de Lingreville.
Au VIIIe siècle
Une communauté chrétienne vivait à Lingreville (un sarcophage mérovingien en pierre, qui contenait des fragments d’ossements a été exhumé de l’ancien cimetière de Lingreville vers 1860).
Au Xe siècle
Après avoir débarqué en Neustrie vers 897, Rollon prend Bayeux, Evreux et Rouen. En 911 Rollon devient le premier duc de Normandie. Il se fait baptiser. En 933 Charles le simple lui octroie l’évêché de Coutances et celui d’Avranches. Un système féodal se met en place avec des chefs de domaines. Un chef d’origine scandinave serait à l’origine du patronyme de Lingreville : Leodgrimr ou Leofgrimr, aurait donné son nom à son domaine rural. D’autres historiens avancent le nom d’Ingré. Quoiqu’il en soit, le nom de ce puissant occupant est suivi, comme beaucoup de communes anciennes de la Manche, du suffixe latin villa, qui signifie domaine rural. D’où la forme ancienne Legrinvilla attestée entre 1056 et 1066 (on retrouvera aussi l’écriture L’Ingreville jusqu’au XVIIème siècle).
Au XIe siècle
Lingreville est une paroisse qui appartient à Guillaume, duc de Normandie, futur conquérant de l’Angleterre. En 1056, Le duc Guillaume donne à son ami Geoffroy de Montbray, évêque de Coutances, une partie du territoire nommée Terre des Oiseleurs ou l’Oiselière*, car on y trouvait beaucoup de gibier d’eau sur la rive gauche du ruisseau des Préquais*. A la même époque, le duc donne à son demi frère, Robert, comte de Mortain, la partie sud-ouest de Lingreville. Ce partage est à l’origine de 2 fiefs nobles : le fief de Meurdrac et le fief d’Yvoi. Parallèlement deux portions de cure sont instaurées à Lingreville avec 2 curés, 2 presbytères, mais une seule église sur la terre des Oiseleurs.
Au XIIIe siècle
En 1204, Philippe Auguste, roi de France, arrache le duché de Normandie au roi d’Angleterre. Certains fiefs deviennent en réauté (en royauté). La grande portion de paroisse est donnée en patronage aux moines du Mont St Michel en 1248 (par Dame Jane, veuve Poterel propriétaire de la Seigneurie de Meurdrac et du fief des oiseleurs). L’ancien presbytère du Val (actuellement rue de l’Epine) était celui de cette grande portion. La petite portion est constituée de la Seigneurie d’Yvoi. C’est le prieuré de Mortain qui en a le patronage et qui en reçoit la dîme.
De cette époque nous conservons une insolite statue en bois de Saint Louis (légèrement déhanché), et visible dans l’église de Lingreville. La statue est référencée dans le patrimoine du département par le conservatoire d’objets d’art du Conseil Général. Les fonts baptismaux de cette époque (vaste cuve en pierre octogonale) ont été retrouvés et remis à l’honneur près de l’entrée latérale de l’église sur la place du marché.
XIVe siècle
Lingreville est déjà une bourgade d’environ 400 âmes avec son marché hebdomadaire. Arrive la guerre de Cent ans : le 12 juillet 1346 le roi d’Angleterre débarque à la Hougue avec ses troupes pour reconquérir la Normandie. En 1347, une bataille âpre est disputée entre les Anglais et la résistance française dans la Seigneurie de l’Oiselière à Lingreville.
La survivance du début de ce siècle que nous pouvons encore contempler dans l’église de Lingreville est un remarquable Christ aux yeux ouverts, sculpté dans le bois. Autrefois placé au centre du jubé de l’entrée du chœur, il était accompagné de la statue de sa Mère et de son disciple Jean (aujourd’hui le jubé a disparu ainsi que la statue de la Vierge).
Au XVe siècle
De 1417 à 1449 Lingreville fait partie de la province anglaise. Les annales du Mont St Michel relatent l’histoire d’un Lingremais Thomas Morisse qui a fait passer de vie à trépas deux pages de Bricqueville sur Mer. Il est acquitté par l’administration anglaise, en septembre 1426.
Les Anglais sont boutés hors de Normandie. En 1450, les Lingremais se remettent à l’ouvrage. Le chœur de l’église est reconstruit avec une sacristie attenante. Au dessus de robustes piliers en granit de Chausey ils élèvent l’imposant clocher à bâtière encore visible aujourd’hui. Ce clocher devient pour les habitants un lieu de guet, de refuge, et de défense contre l’envahisseur. L’édifice achevé est mis sous le patronage de St Martin, évêque de Tours.
Nos paroisses côtières sont reconnues pour leurs activités textiles et d’élevage de "bêtes à laine".
Il est signalé que dans chaque maison il y a un rouet pour filer la laine et le lin. On rouit le lin dans les mares. Un écrit nous parle d’un pauvre Lingremais qui escarde la laine dans sa maison.
Le patrimoine de l’époque est une statue en pierre de Ste Barbe. Invoquée pour se prémunir des orages et du feu, elle est aujourd’hui entièrement restaurée avec la polychromie d’origine.
Au XVIe siècle
Un gros travail d’assèchement des deux grandes mares de Lingreville est entrepris. Les nouvelles terres gagnées sur les mielles et les maresqs sont appelées les croultes. On y cultive les herbes à potage et les salades qui ne sont pas soumises à la dîme contrairement aux cultures de céréales et de fèves. Charles IX par l’édit de Moulins en 1566 interdit de transformer les terres communes en exploitation particulière. En 1574, une partie des troupes protestantes conduites par Gabriel de Mongomery arrivent de Jersey et débarquent dans le port de Lingreville. A cette époque le Ruet *est sans doute aménagé en port. On y répare des navires. On peut lire que Le Dauphin, bateau de 50 tonneaux et La Bonne Adventure ont accosté dans le port de Lingreville.
Au XVIIe siècle
Sous le règne de Louis XIII, Charles Belin est propriétaire de la seigneurie d’Yvoi. En 1632, il rachète la moitié de la grande portion et le fief de Tourneville. Il reconstruit l’ancien château de Lingreville, qui devient le Manoir du Mesnil. C’était un beau manoir avec un parc entouré de murs, une chapelle, une pièce d’eau, deux énormes colombiers et une grande avenue. Les lingremais continueront de l’appeler le château. Le roi veut mettre sur les terres communes un impôt pour les paysans. Commence la révolte des Nu-pieds, cruellement réprimé par le gouvernement de Louis XIII en 1639. Les habitants des paroisses de Lingreville sont taxés pour les terres communes.
Après les Belin, le château devient la propriété des Lecourtois de Ste Colombe, puis des Fremin du Mesnil. Cette famille coutançaise habite le château en résidence secondaire.
On note aussi un fort déboisement de Lingreville à partir de 1670 en raison de taxes sur les arbres.
A la fin du XVIIe l’église se dote d’une statue baroque de St Sébastien encore reconnaissable aujourd’hui à la flèche qui lui traverse la poitrine.
Au XVIIIe siècle
L’école est assurée par des instituteurs qui devaient avoir l’agrément du curé. Entre 1770 et 1774 un peu plus de 80% des hommes et 35% des femmes savent au moins signer leur nom sur les registres de Lingreville. En 1794 la révolution abolit l’ancien régime et impose la création des écoles communales pour les garçons. La révolution vient aussi mettre fin aux deux portions de paroisse. Un paroissien de Lingreville, Julien Mahé, achète les statues de l’église pour les cacher dans son grenier, il les restituera après la tourmente. Elles resteront ensuite 120 ans dans la tour du clocher avant d’être à nouveau exposées à tous.
Au XIXe siècle
Lingreville est un gros bourg de 1600 habitants, reconnu comme une paroisse laborieuse. « Toute la commune est cultivée comme un jardin potager » retrouve-t-on dans les écrits de cette époque. En 1820, les frères Auguste et Hippolythe Garnier partent de Lingreville pour Paris où ils fondent les Editions Garnier. Une tradition indique que certains habitants de Lingreville pouvaient être colporteurs ou fabricants d’estampes à la saison morte.
C’est le mariage de Gabriel Frémin du Mesnil, maire de Coutances, qui possède la moitié de Meurdrac avec Henriette Le Courtois de Ste Colombe propriétaire d’Yvoi et de l’autre moitié de Meurdrac qui permet de reconstituer à nouveau l’ensemble du territoire de Lingreville. Leur fils unique, Pierre Frémin du Mesnil est conseiller général du canton de Montmartin sur Mer.
Le 21 août 1847 le conseil municipal de Lingreville inaugure le bâtiment flambant neuf qui abrite la mairie et l’école communale des garçons. Puis en 1876 s’achèvera la nouvelle construction de l’école communale des filles (bâtiment actuel 7 rue des clos).
D’autre part en raison de l’accroissement de la population, l’église devient trop petite. En 1861, l’idée est émise de démolir l’ancienne nef, et de la reconstruire plus large et plus longue. Le 17 septembre 1865 les travaux sont achevés et c’est l’inauguration solennelle. Avec ses doublestransepts, l’église revêt la forme qu’on peut lui voir actuellement.
Le 20 juillet 1885, le baron Pierre Frémin du Mesnil meurt, sans enfant en son château de Lingreville. Il est inhumé dans le cimetière de Lingreville où l’on peut voir son tombeau de marbre blanc. Sa veuve, jersiaise, vend le château à la famille d’Annoville et part habiter en Angleterre.
Suite à la loi Jules Ferry et à la laïcisation des écoles, l’abbé Delacour ouvre en 1892, une école privée pour les filles à Lingreville. Il fait construire « l’école es sœurs » à quelques centaines de mètres de l’école communale des garçons.
Au XXe siècle
A la belle époque, la population de Lingreville est d’environ 1240 habitants. Son activité économique est importante. Au début de ce siècle, Les chouers vont vendre leurs légumes en voiture à cheval sur les marchés de Coutances, Granville, Vire et autres lieux. Les produits maraîchers sont aussi expédiés vers Paris à partir de la gare de Folligny, par la ligne ferroviaire Paris-Granville (terminée en 1870). On dénombre une vingtaine de cafés à Lingreville, qui font aussi office d’épicerie, de boulangerie, de mercerie, de charronnerie, de restaurant. L’artisanat est omniprésent avec 3 boulangers, une marchande de tissus, plusieurs forgerons, charrons et maréchaux-ferrants, des menuisiers, des couvreurs en paille, des maçons, 3 cantonniers, 2 cordonniers, 3 coiffeurs à domicile, un tisserand qui fabriquent des couvertures, 7 blanchisseuses et 30 couturières à domicile.
Pendant la guerre de 1914-1918, ce sont 54 lingremais qui, tués au champ d’honneur, ne reviendront pas dans leur village.
En 1929, « l’école es sœur » devient l’école Ste Thérèse. A côté, une salle des fêtes est construite par l’association paroissiale La Lingremaise.
En 1933, Six vitraux sont posés dans la nef de l’église, signés du maître verrier Antoine BESSAC.
Par ailleurs, le château de Lingreville est en état de délabrement. Il est occupé par les nazis pendant la dernière guerre, et subit de multiples dégradation : les boiseries, poutres et portes servent de bois de chauffage (devenu dangereux il sera malheureusement rasé en 1976).
En 1944 deux chasseurs américains s’écrasent sur la plage de Lingreville : John R Moran et William F. Alberty. Ils sont enterrés au cimetière américain de St James, leur tombe est fleurie chaque année. La 6e DB américaine libère Lingreville le 30 juillet 1944. Ce jour là, les lingremais se massent le long de la départementale 20 (actuellement nommée rue du 30 juillet) pour acclamer les libérateurs. Mais une série d’obus s’abat, peu après, sur le centre de Lingreville faisant 3 victimes civiles.
En 1955, François Chapuis réalise les vitraux du chœur de l’église, dont un «christ en gloire» avec les lettres grecques alpha et omega à l’instar des lettres inscrites sur le clocher du XVe.
L’histoire contemporaine reste à écrire.